
Dégustation du 5 juin 2019
« Découverte des régions d’Italie:
viticulture, histoire et gastronomie »
organisée par Claude Deschênes
La dégustation en double aveugle n’a pas pour but premier
de créer un jeu de devinette consistant à identifier les
vins, mais plutôt de permettre de les analyser sans les
préjugés qui nous influencent, qu’on le veuille ou
non, à étiquette découverte. La tentative
d’identification doit se faire après l’analyse
seulement. Cela dit, beaucoup de dégustateurs aiment bien ce jeu
de devinette basé sur la première impression (ou presque)
et résistent difficilement à la tentation.
Claude a voulu jouer le jeu, en fournissant quelques indices pouvant
aider à l’identification de la région vinicole dont
chaque vin était issu. Il nous a servi, en trois volées,
douze vins rouges de douze des vingt régions vinicoles
d’Italie, avec, pour chaque vin, des indices sur la viticulture
(cépages, histoire, etc.), sur la culture régionale
(personnages célèbres, châteaux, légendes,
catastrophes naturelles, etc.) et sur la gastronomie.
Pour ceux qui ont d’abord dégusté et analysé
les vins, c’était de l’information
supplémentaire pour confirmer ou corriger leurs conclusions.
Pour ceux qui ont sauté directement à
l’étape d’identification, au moins, cela diminuait
le risque de partir sur de mauvaises prémices… en
supposant, évidemment, que l’identification de la
région, selon les indices, était correcte, ce qui
n’était pas toujours évident.
Première volée :
2 500 ans d’histoire viticole, Pythagore, quelques mafiosi
célèbres et une charcuterie de cochon noir nous
amènent en Calabre, avec le Magno Megonio 2013 (IGT Val di Neto
Rosso) de Librandi, fait à 100 % de magliocco dolce, un
cépage presque exclusif à la région. Le vin est
rubis moyennement foncé, assez ouvert, fumé,
fruité (fruits rouges cuits), avec des notes
végétale, florale, animale (cuir) et
torréfiée (bois brûlé, 12 mois de barrique).
Très corsé, il est bien sec et frais, plutôt
tannique et très fruité (confiture de cerises,
sucré). La finale de fruits cuits est astringente,
légèrement amère et assez persistante.
Pour le Frioul-Vénétie julienne, les indices parlent de
différentes influences d’Allemagne ou d’Europe de
l’Est, de la forteresse de Palmanova et du Prosciutto di San
Daniele. Le vin : Vistorta 2011 (DOC Friuli Grave) de Conte Brandolini,
un 100 % merlot. De teinte identique au Librandi, il est un peu plus
aromatique, fruité, épicé (poivre), avec un
début d’évolution, des herbes sèches, du
bran de scie et un beau bois discret. Moyennement corsé, il est
plus léger que le précédent, plus fruité,
avec une très bonne acidité et une astringence assez
marquée (râpeux pour certains). La fin de bouche est bien
sèche, fruitée et assez persistante.
La troisième région, où la viticulture ne se
développe vraiment qu’au XXe siècle, où
l’on parle d’une apparition de Marie-Madelaine et
d’où les farfalle seraient originaires, est la Lombardie
et le vin est un Inferno Fiamme Antiche 2012 (DOCG Valtellina
Superiore) d’Ar.Pe.Pe., fait exclusivement de chiavennasca, nom
local du nebbiolo. La robe est typique du nebbiolo, assez claire et
légèrement tuilée. Le nez est moyen,
épicé et fumé. La bouche est étonnamment
peu corsée, bien fruitée et plutôt acide, ce qui
donne un équilibre approximatif, un peu pointu. La finale est
juteuse, fruitée et de bonne longueur.
Pour les Pouilles, on parle de 4 000 ans de viticulture, du Castel del
Monte et de taralli. Le vin : Il Falcone 2012 (DOCG Castel del Monte
Rosso Riserva) de Rivera, 70 % nero di Troia, complété
d’autres cépages autochtones. La couleur est identique aux
deux premiers. Il est bien ouvert aromatiquement, fruité et
épicé, avec une note animale. Le vin est assez costaud en
bouche, fruité, terreux, avec une association
acidité-astringence qui le rend plutôt austère. Un
vin d’un très bon rapport qualité/prix qui
mérite habituellement qu’on l’attende une bonne
dizaine d’années.
Deuxième volée de quatre vins, trois 2010,
millésime exceptionnel presque partout en Italie et un 2009,
millésime presque aussi bien coté :
La cinquième région est connue pour ses cépages
autochtones, a été le site d’un « drame
gigantesque » en l'an 79 et est le pays de la mozzarella du
buffala; c’est la Campanie, avec le Sabbie di Sopra il Bosco 2010
(IGT Terre del Volturno) de Nanni Copè, à base de
pallagrello nero, complété d’aglianico et de
casavecchia, trois cépages autochtones du sud de l’Italie.
Il est rouge violacé opaque, assez aromatique, fruité et
viandé, avec une note d’encre; rond, gras en bouche et
très fruité (presque sucré), avec des tannins
enrobés, mais quand même astringents. La finale est
très fruitée, avec une belle astringence de jeunesse.
Tiendra encore plusieurs années. Deuxième vin le plus
apprécié de la soirée, ex aequo avec le Brunello.
Ensuite, on parle de l’origine du cépage montepulciano, de
la création de l’alpinisme au Gran Sasso, de Canestrato di
Castel del Monte et d’antipasti; on est dans les Abruzzes et le
vin est le Podere Castorani 2010 (DOC Montepulciano d'Abruzzo) de
Castorani, fait exclusivement de montepulciano. Le vin est
foncé, opaque, presque noir. Le nez est explosif, complexe,
très torréfié (chocolat, café), très
fruits noirs, épicé (muscade, anis étoilé)
et un peu iodé. En bouche, il est rond, très
fruité, avec des tannins assez fins, soyeux, une très
belle acidité, de la réglisse et un excellent
équilibre. La fin de bouche est légèrement
astringente, confiturée et très, très persistante.
Le vin de la soirée!
Septième région : le cœur de l’empire romain,
avec ses nécropoles étrusques de Cerveteri et de
Tarquinia et ses huiles d’olive réputées de Canino,
Sabina et Tuscia, le Latium, avec le Nenfro 2010 (IGT Lazio) de Sergio
Mottura, un autre 100 % montepulciano, rouge assez foncé. Il est
bien ouvert, fruité (framboise), boisé (12 mois de
barrique) et légèrement végétal.
Moyennement corsée et à l’équilibre
impeccable, la bouche est bien fruitée et
légèrement terreuse, avec des tannins accessibles et une
certaine chaleur (13,5 %/vol). La finale de fruits cuits est un peu
rugueuse, asséchante et de bonne longueur.
Pour la région suivante, on parle dès le IVe
siècle d’un vin passerillé, l’acinatico, de
la république Sérénissime et du Riso Nano Vialone;
c’est la Vénétie et le vin est l’Osar 2009
(IGT Rosso del Veronese) de Masi Agricola, fait à 100 %
d’un cépage autochtone presque disparu, l’oseleta.
Le vin est rubis foncé, assez intense aromatiquement,
très fruité (fruits noirs), épicé et
torréfié (grillé), avec des noix. En bouche, il
est bien texturé, plein, fruité, bien sec, avec une belle
astringence due à des tannins souples, le tout parfaitement
équilibré. Ça s’étire sur le tabac et
la torréfaction. Un vin encore très jeune, encore loin de
son apogée.
Troisième volée :
Ici, on parle de la ville de Vittoria et de son cerasuolo, de
l’émirat des Kalbites, de Scarlatti et d’arancini;
nous sommes en Sicile, avec un vin bio, le NeroBaronj 2011 (IGT
Sicilia) de Gulfi di Vito Catania, 100 % nero d’Avola. Il est
rubis assez foncé, intensément aromatique, fruité
et très chocolaté. En bouche, il est rond, souple,
parfaitement équilibré, avec des tannins fins, une
très belle acidité, une bonne dose de fruits et de la
chaleur (14 %/vol). La finale est très sèche,
fruitée, chocolatée et très, très longue.
On remonte dans les Marches, avec sa viticulture vieille de plus de 2
500 ans, berceau du cépage biancame, anciens territoires
pontificaux et pays de l’oliva ascolana del Piceno. Le vin, un
Roggio del Filare 2013 (DOC Rosso Piceno) de Velenosi (montepulciano
70% et sangiovese 30%) est malheureusement bouchonné.
Pour la Toscane, les indices parlent du ciliegiolo, ancêtre du
« sang de Jupiter », de Gallilée et de bistecca alla
fiorentina. Le vin, d’un millésime exceptionnel à
Montalcino, est le Tenuta Nuova 2012 (DOCG Brunello di Montalcino) de
Casanova di Neri (100 % sangiovese), rouge assez pâle, presque
clairet. Le nez est bien ouvert, torréfié, fruité
(fruits noirs), avec des fines herbes et une note de cèdre. Le
vin est moyennement corsé, torréfié (chocolat au
lait, café), avec des tannins solides et un superbe
équilibre. La fin de bouche est fraîche, fruitée,
torréfiée, agréablement astringente et d’une
bonne longueur. Deuxième vin le plus apprécié,
avec le Terre del Volturno de la volée précédente.
Et enfin, la douzième région visitée, connue pour
ses coopératives vinicoles, pour son ancienne principauté
épiscopale où s’est tenu un célèbre
concile, pour sa Mortandela affumicata della Val di Non et son fromage
Stelvio ou Stilfser, est le Trentin-Haut-Adige et le vin, d’un
millésime également exceptionnel dans la région,
est le Lagrein 2009 (DOC Alto Adige) d’Elena Walsh (100 %
lagrein, cépage autochtone du Südtirol). Il est assez
foncé, bien aromatique, fruité et grillé. Il est
moyennement corsé en bouche, bien fruité, avec des
tannins plutôt soyeux, un début de maturité
(tertiaire) et un superbe équilibre. La finale est
fruitée, torréfiée et juteuse. Un vin à son
apogée.
Un très beau tour d’Italie, amusant et instructif, qui
n’a couvert que douze des vingt régions viticoles
italiennes, mais servir vingt vins d’un seul coup aurait
été excessif. En ce qui concerne les vins rouges des
régions restantes, Val d’Aoste, Piémont,
Émilie-Romagne, Ligurie, Ombrie, Sardaigne, Molise et
Basilicate, ce sera peut-être pour une autre fois; quoique Claude
semble plutôt intéressé à
répéter l’exercice avec les vins blancs. À
suivre.
Alain Brault